ERRANCE

“L’errance n’est ni le voyage ni la promenade mais cette expérience du monde qui renvoie à une question essentielle. Qu’est-ce que je fais là ? [..] Il me faut vivre cette quête qui est la mienne… Elle arrive à un moment, ni bon ni mauvais, elle est nécessaire… Pour être juste cette errance est forcément initiatique… mon regard va changer…”

« La force de l’errance, c’est de m’avoir permis de vivre pendant un certain temps dans le présent » (Depardon)

Il y a des images qui frappent, il y a des histoires qui marquent. Et l’on est d’autant plus touché que ces images et ces histoires semblent poser des questions qui interpellent chacun de nous — le photographe en premier. Dépassé le sempiternel “Qui suis-je?”, on en vient à la vraie question, “Que fais-je?”: que fais-je ici, que fais-je maintenant? Comme l’a écrit Olivier Verdun, commentant l’œuvre de Raymond Depardon :

L’errance n’est ni le voyage ni la promenade mais cette expérience du monde qui renvoie à une question essentielle : qu’est-ce que je fais là ? Pourquoi ici plutôt qu’ailleurs ? Comment vivre le plus longtemps possible dans le présent, c’est-à-dire être heureux ? Comment se regarder, s’accepter ? Qu’est-ce que je suis, qu’est-ce que je vaux, quel est mon regard ?

La première fois que l’on ouvre ce court livre de Raymond Depardon, on tombe sur une photographie verticale, pleine page. Elle est en noir et blanc, très simple, équilibrée et épurée. La ligne d’horizon est complètement au centre de l’image, comme sur toutes les autres. On est sur une longue route s’étendant à l’infini au milieu des États-Unis ou devant un passage piéton dans une mégapole japonaise. On est dans une rue en Allemagne, sur la plage en Espagne, devant un abri-bus à Paris, derrière un banc au milieu d’une chaîne de montagnes, ou on est planté face à un poteau électrique dans des champs balayés par le vent.

L’homme est rarement là, mais de toute façon l’errance est la quête d’un lieu, pas d’une altérité, puisque même quand il est là, ce n’est que pour mieux nous montrer le lieu dans lequel il évolue. Depardon est un grand solitaire, dans son errance. L’image, quand on la regarde attentivement, frappe par sa profondeur, sa grandeur, sa latitude, sa beauté. Mais aussi son authenticité. On s’y plonge, on y cherche le détail. Les lignes sont toujours la sève de l’image, elles lui donnent clairement une grande dynamique, elles guident la lecture, parfois la gênent, mais elles font l’image.